D’un style poétique, imagé et décoré, Edwige Danticat raconte l’histoire de deux jeunes gens. Amabelle, domestique et Sébastien, coupeur de canne, qui se sont aimés. Passionnément. Éperdument. Tendrement. Un amour qui a évolué dans un contexte de « peur », d’être tué par les dominicains, massacrés ou expulsés.
L’œuvre se situe dans le contexte du massacre des Haïtiens en République Dominicaine en 1937, communément appelé le massacre du Persil. À cette époque, le dictateur dominicain Rafael Trujillo avait pris la décision de mener une campagne de violence visant à éliminer physiquement les Haïtiens travaillant dans les plantations et en tant que domestiques. Ce triste événement a conduit à la perte de plus de 20 000 vies haïtiennes. Ce massacre tragique a eu lieu contre un peuple qui cherchait simplement à survivre, à trouver un meilleur avenir, un « ale miyò« . Malheureusement, l’ombre de cette terrible histoire plane toujours sur la réalité actuelle, en particulier face à l’importante vague migratoire des Haïtiens vers la République Dominicaine. Aujourd’hui encore, ils font face à des violences, des massacres, des tortures et des humiliations, le tout dans le silence complice des dirigeants
Portée historique
L’ouvrage met en relief l’histoire de deux peuples. De nombreuses dates ont été changées mais l’auteure en a gardé l’essence en récoltant des informations provenant de documents historiques. L’œuvre est un miroir sur l’actualité car elle dépeint une situation grandissante. Un phénomène migratoire qui bat encore son plein malgré ce massacre, en 1937.
Il est également un hymne à l’amour réel et sincère. Sébastien et Amabelle ont connu un amour sincère et profond. » Je souhaiterais qu’il (Sébastien) soit une part de l’air de ce côté du fleuve, un minuscule élément du souffle qui traverse ma chambre la nuit. Je souhaiterais qu’au moins un peu de la poussière de ses os puisse me suivre dans le vent » (P 302-303). Et également il est un fervent hommage aux disparus durant ce massacre.
La récolte douce des larmes raconte les périples de ceux qui ont vécu le massacre dont certains ont été froidement tués. C’est un vibrant hommage à ces braves gens qui se sont battus jusqu’à la dernière goutte.
Regard interne
Écrit à la première personne, le livre met le personnage d’Amabelle en premier plan. Illustre la vie d’une femme haïtienne, domestique chez des Espagnols Dominicains et qui a du se « sauver » de chez sa patronne, mariée à un général dominicain, figure de proue de ce massacre, le señor Pico.
Pour tous ceux qui souhaitent revivre cette période douloureuse de notre histoire, ce livre reste un classique. Edwige a utilisé un ton « doux », marqué par la souffrance et le ressentiment. Elle nous a fait voyager avec cette femme qui cherchait son homme disparu durant le massacre.
S’il subsiste plusieurs trous noirs notamment la faible caractérisation de la relation entre Sébastien et Amabelle, le manque de développement du personnage de Sébastien, le flou entourant la relation entre Amabelle et Valencia, l’insuffisante mise en évidence du racisme subi par les Haïtiens, le manque de suspense dans le voyage d’Amabelle à la recherche de Sébastien, et la perte d’intrigue et d’intérêt après le retour d’Amabelle au Cap-Haïtien. La récolte douce des larmes reste un œuvre saisissant et incontournable autour de cette tranche d’histoire sombre entre Haïti et la République Dominicaine.
Au final, le massacre a eu raison d’Amabelle. Comme il a eu raison de nous tous… Amabelle n’a pas pris son mal à deux mains, comme on aurait dû le faire, nous autres, Haïtiens. Au contraire, comme Amabelle, nous nous plaignons constamment de notre « mauvais sort ».
Pour prévoir l’avenir, il faut connaître son passé. Edwige nous a offert bien plus qu’un roman, mais un livre de chevet, un journal pour nous recueillir, un livre de poésie pour adoucir notre âme.
A propos de l’auteure
Née le 19 janvier 1969 à Port-au-Prince, Edwidge Danticat est une auteure haïtiano-américaine dont les œuvres se concentrent sur la vie des femmes et leurs relations. Elle a également abordé les questions de pouvoir, d’injustice et de pauvreté.
Sarah Zéphyr
Sarah Marlange Zéphyr est juriste de formation avec un diplôme en marketing. Actuellement consultante en communication elle prête ses services dans le domaine de la communication orale, écrite et de marque. Enthousiaste, dynamique ; sa pensée phare est : C’est ton attitude, bien plus que ton aptitude qui déterminera ton altitude.