L’égyptologue espagnole Marina Escolano-Poveda a percé le mystère d’un papyrus qu’on pensait définitivement incompréhensible en retrouvant le chapitre manquant d’un texte métaphysique égyptien du Moyen Empire.
Cette dernière a découvert que des bribes de parchemin conservées au Musée biblique de Majorque, et datées d’au moins 4000 ans, étaient en réalité la partie manquante d’un trésor préservé par le Musée égyptien de Berlin : Ce Dialogue entre un homme et son Ba (son Âme) est l’un des premiers textes philosophiques publiés qui nous sont parvenus.
« to be or not to be, that is the question… » La fameuse tirade de Hamlet a son pendant égyptien. Ce texte conservé au musée égyptien de Berlin depuis 1842 est bien connu des égyptologues. Intitulé « La Dispute du Désespéré avec son bâ [son âme, NDLR] », il voit son héros s’interroger s’il doit mieux vivre ou mourir. « Certains ont cru voir dans ce texte les réflexions d’un homme suicidaire ; d’autres, le dialogue entre un défunt et un esprit, à l’occasion du jugement dernier », explique l’égyptologue Marina Escolano-Poveda. Le document ne disposait de son chapitre introductif qui aurait pu permettant de contextualiser le reste du texte. L’universitaire espagnole explique : « Il manquait la première partie, c’est pourquoi cela n’a pas été bien compris. On ne savait pas pourquoi cette conversation avait eu lieu. Le fragment de Majorque, en précisant qu’il s’agit d’un mourant, le révèle. »
La douleur de l’âme
Marina Escolano-Poveda décrit le texte : « Il parle d’émotions et de peurs sur un ton intime, de savoir si cela vaut la peine de vivre ou non lorsque l’on se trouve dans des circonstances défavorables. » Ce Dialogue d’un homme avec son Ba est, comme son nom l’indique, une conversation entre un malade et sa propre âme : « Le poids de la trouvaille réside dans les données sur la conception égyptienne de la mort qu’elle nous transmet », assure la chercheuse. Et d’ajouter : « C’est un texte rare, dans le sens où c’est une composition littéraire, et à cette époque il y en avait très peu. »
Le papyrus égyptien conservé dans la capitale allemande, l’un des trésors historiques les plus importants du monde, a été découvert dans les années 1830, et traduit et publié en 1896 par l’égyptologue et lexicographe allemand, fondateur de l’école d’égyptologie de Berlin, Adolf Erman. Le document a par la suite été analysé par de nombreux chercheurs, sans pouvoir en dégager un sens définitif.
Et comment?
En 2010, Marina Escolano-Poveda se rend à Palma pour donner une conférence sur l’importance qu’eut la langue copte dans le déchiffrement de l’écriture hiéroglyphique. Elle en profite pour visiter le Musée Biblique de la ville, où on lui montre plus de soixante petits fragments. Personne n’avait encore étudié ces pièces de l’Egypte antique, lui explique-t-on.
« C’est à la faveur d’un congrès, organisé en 2010 à Majorque, que je suis tombée pour la première fois sur ce document en forme de puzzle Personne ne savait de quoi il s’agissait. Il faut dire que, au vu de son mauvais état, aucun chercheur n’avait vraiment pris la peine de se pencher dessus. Mais il m’intriguait », raconte l’égyptologue.
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Elle publie les premiers résultats de ses recherches dans la revue allemande spécialisée Zeitschrift für Ägyptische Sprache und Altertumskunde en 2017. Bernard Mathieu s’est appuyé sur certaines des conclusions du chercheur dans son volume 3 de La Littérature de l’Égypte ancienne, édité aux Belles Lettres en juin 2023.
Si l’on suppose que le papyrus aurait été vendu aux enchères à Londres et intégré à la collection berlinoise en 1843, retracer le parcours de son autre partie jusqu’à l’île espagnole de Majorque reste difficile. Selon El Pais, la majeure partie de la collection du Musée biblique est attribuée à Bartolomé Pascual Marroig, un évêque majorquin passionné par l’Ancien Testament, qui a également participé à des fouilles archéologiques au Proche-Orient. Depuis 1913, le Musée biblique de Majorque, toujours affilié à l’Évêché, rassemble des éléments historiques liés aux Saintes Écritures. Il abrite notamment la plus ancienne collection de papyrus hiératiques en Espagne, comprenant des parties du célèbre Livre des Morts.
Leonne Bellechant