Il était environ trois heures trente. Personne ne savait encore que le reste de la journée allait valser à pas perdus, sur un ton épouvanté de désastre. Port-au-Prince, engluée dans le théâtre noir du quotidien, continuait son rythme sans soupçonner le dénouement tragique qui s’annonçait.
Il fallut attendre jusqu’à quatre heures cinquante-cinq. Sans crier gare, la terre se mit à trembler. Nul n’échappa à cette secousse brutale. Nous voici égarés, face à l’étrangeté d’une comédie de tremblement de terre qui nous enferma dans la griffure d’une douleur sans nom.
Une pluie fine tombait doucement sur les feuilles dans le Nord, tandis que l’Ouest et ses environs étaient secoués avec une violence inouïe. Les pertes humaines et les débris des maisons en ruines semblaient s’enfoncer jusque dans les entrailles du sol, laissant les survivants le souffle coupé, les rêves avortés.
Le 12 janvier hante la mémoire de notre histoire, marqué par l’empreinte sanglante de centaines de milliers d’hommes et de femmes piégés sous les décombres.
ouf
4 trè 55 on dènye kri
vlope nan ke wòb Pòtoprens
rèl pete nan kalfou kat chimen
bri kouri
Pòtoprens
dòmi ak san sou figil
po ak zo
melanje nan kakas bèl mezon
plonje byen fon anba latè
kadav
sou gran chimen
men otè pil sou pil
pran tchwipe lavi
nan boske chache moso limyè
nan kat kwen solèy
leve lavi-n kase koub
toudousman
antre nan koki
nou asiste lespwa-n kape antere gwo midi
sèkèy pandye
nan pa pòtkay
on tray dezolasyon
lapènn manch long
sou woulib
Pòtoprens
nwaye nan dlo je
chak fanmi
ki pèdi on frè
on sè
on fanmi
on zanmi nan bèl mèvèy limanite.
…
J’ai entendu bruire, si fort, le vent d’une voix angoissée qui s’élevait le long des rues d’une ville dévastée, saccagée, écrasée par la cadence saccadée d’un sévère tremblement de terre, enterrant en plein jour le soleil d’un rêve naissant.
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Le cœur battant, j’entrais dans les replis de ce silence abandonné, cherchant à atteler un brin d’espoir pour réécrire, en mille strophes, un nouveau poème. Il nous faudra un nouveau poème, pour garder vivante la mémoire de cette ville blessée, qui se noie encore dans le sang versé à flots le long des trottoirs délabrés.
Que les esprits visionnaires des âmes des poètes, disparus dans la mélasse meurtrière des décombres, reposent en paix. Qu’ils régénèrent cette terre défunte et deviennent les porteurs d’un itinéraire de songes contraires.
Kily Charlot
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