L’année 1822 marque une période clé dans l’histoire de l’île d’Haïti. Pendant 22 ans, sous la présidence de Jean-Pierre Boyer, Haïti contrôle l’ensemble de l’île, incluant la partie orientale aujourd’hui connue sous le nom de République dominicaine. Si cette unification demeure un sujet de fierté pour certains, elle reste, pour d’autres, une plaie ouverte. Qu’en est-il réellement ? Était-ce une alliance volontaire ou une annexion imposée ? l’intellectuel haïtien Jean-Price Mars analyse cet épisode sous un angle nuancé.
Après avoir proclamé son indépendance de l’Espagne en 1821, la partie orientale de l’île, dirigée par José Núñez de Cáceres, se retrouve dans une position fragile. Menacée par une reconquête espagnole et d’autres influences extérieures, la jeune république cherche un allié puissant pour garantir sa survie. Dans ce contexte, des appels à l’unification sous la bannière d’Haïti émergent de certaines municipalités frontalières et figures dominicaines influentes.
Le 11 février 1822, Jean-Pierre Boyer, président d’Haïti, répond à ces sollicitations en entrant à Santo Domingo sans rencontrer de résistance. L’île est unifiée.
Deux lectures historiques opposées
Cette unification n’a cependant pas le même sens pour les deux parties, essaie de faire comprendre l’auteur d’Ainsi Parla l’Oncle.
Pour les Haïtiens, l’action de Boyer répondait à une demande claire et légitime des Dominicains. Des pétitions officielles, rédigées par des dirigeants locaux, affirmaient leur volonté de s’unir à Haïti pour former une seule nation. Cette union, selon les récits haïtiens, visait à garantir l’indépendance des deux côtés de l’île et à abolir définitivement l’esclavage dans la région.
Pour les Dominicains, cette unification était tout sauf volontaire. Ils évoquent une pression militaire et politique exercée par Boyer et ses troupes, transformant cet événement en une annexion déguisée. Selon eux, les appels à l’union n’étaient qu’une stratégie dictée par la peur d’une invasion haïtienne.
Pour Jean-Pierre Boyer, unifier Hispaniola était une décision stratégique. Cette action visait à Renforcer la sécurité nationale face aux menaces étrangères. Contrôler l’ensemble de l’île réduisait les risques d’une intervention espagnole ou européenne. Garantir l’abolition de l’esclavage, alors que cette pratique restait une menace dans la partie orientale. Consolider l’indépendance régionale en empêchant la fragmentation de l’île.
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Malgré ces intentions, la centralisation du pouvoir par Boyer et les politiques fiscales imposées à la partie orientale ont créé des tensions. En février 1844, après des années de frustrations, la République dominicaine proclame son indépendance, mettant fin à cette période d’unification.
Un héritage complexe
Dans ses travaux, Jean-Price Mars analyse cet épisode sous un angle nuancé. Il s’appuie sur des documents historiques, notamment des correspondances et pétitions de l’époque, pour démontrer la complexité de cette unification. Ces pièces, publiées pour la première fois sous Boyer, illustrent les motivations des deux camps.
Jean-Price Mars appelle à dépasser les récits partisans pour étudier cet événement avec objectivité. Pour lui, la question clé demeure : ces appels à l’unité étaient-ils sincères ou dictés par la peur ?
Aujourd’hui encore, l’unification de 1822-1844 alimente les débats historiques et identitaires entre Haïtiens et Dominicains. Elle illustre les tensions qui peuvent naître de la quête d’unité dans un contexte de différences culturelles et politiques.
Cet épisode rappelle également l’importance de revisiter l’histoire avec une approche critique, en tenant compte des récits des deux parties. Comme le souligne Jean-Price Mars, « l’histoire n’est jamais figée ; elle est un dialogue perpétuel entre le passé et le présent. »
La rédaction
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