Quand je revins à la maison, la nuit étendait son voile sur la ville. J’avais musé pour acheter un peu de fritures à Madame Jeannette qui a son commerce tout près de chez nous. Elle sert toujours plein de clients, c’est une bonne amie de ma mère. Elle s’arrangea pour me servir rapidement avec un petit ajout, gracieuseté de la maison. Mon père était assis sur la galerie que l’amandier semblait étreindre de ses branches touffues. Il conversait avec ma mère, une bouteille de rhum devant lui. C’est signe de sa bonne humeur, car il n’est pas porté sur la boisson. Je ne l’ai jamais vu élever la voix sur ma mère, encore moins menacer de la frapper. Ma mère dit de lui que c’est un gentleman et que son seul défaut est de trop aimer les femmes. « Je prie Dieu, Adrien, que tu prennes ce qu’il a de bon en lui. » Il paraissait heureux de me voir. « Ta mère m’a appris que tu commençais ton cours de violon aujourd’hui. Cela s’est-il bien passé ? » Connaissant son peu d’intérêt pour toute activité extrascolaire, je répondis prudemment que j’étais satisfait de la première séance. Il me tendit un livre. « Tiens ! Je l’ai eu chez un bouquiniste à la Grand-Rue.
Tu ne sais pas tout ce qu’on peut débusquer comme livre dans les rues même par ces temps enténébrés. Concertos pour violon ! » Il eut un grand sourire. « Tu as du chemin à faire pour atteindre ce niveau. J’espère que, bien vite, il te sera utile. Si ta mère tient tant à ce que tu apprennes le violon, fais en sorte d’être le meilleur. Et surtout… » Il s’arrêta, son visage affichant cet air sévère qui me fait peur : « Je ne veux pas que tes notes scolaires pâtissent de ces cours. C’est ma condition pour que tu les poursuives. As-tu bien compris ? » Ma mère regardait mon père avec adoration. Elle me fit signe qu’elle approuvait. « J’aurai de meilleures notes, papa. Ne t’inquiète pas. » Il passa une main affectueuse sur mon crâne avant de me glisser un billet de banque dans la poche. « Maintenant, laisse-nous. » Je me dépêchai d’entrer pendant que ma mère s’asseyait amoureusement sur ses genoux. « Un jour, pensai-je, j’aurai comme mon père une femme qui m’aime. »
Gary Victor-Le V. d’A.
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